Samedi : bruine fine et brouillard se joignent à nos lascars
Le
départ a lieu le samedi matin, à l'aube, sous une bruine persistante et peu
engageante. Les pèlerines et les sacs en plastique sont de rigueur. Nous partons
à quatre, avant de récupérer Guillaume, notre cinquième larron, à l'ambassade
de France. Quitter Hanoi par la route se révèle long et difficile : même à sept
heures du matin, il est facile de se perdre dans les rues qui ne désemplissent
pas. Heureusement, le casque jaune canari de Marc constitue le meilleur repère
qui soit dans la foule des motocyclistes. (Pour en finir avec les casques, Seuls
Cécile, Marc et moi en portons - sans doute quelques relents de notre belle
discipline occidentale).
En revanche, une
fois que l'on trouve la bonne artère, tout devient plus facile : on ne peut
pas se tromper : c'est tout droit. La circulation reste dense une bonne partie
de la matinée, et il faut se méfier des accidents potentiels. Le paysage se
décline pour l'instant en de longues plaines envahies par les rizières, et il
faut attendre quelques heures avant de rejoindre les premières collines. Nous
nous arrêtons une première fois pour déguster un café chaud.
Laurent : pour l'instant,
mon café reste noir, car je n'ose pas encore goûter au "sua". Je me
rendrai très vite compte de mon erreur.
Cécile et Nicolas
se chargent de jouer les interprètes, avec un zèle et un talent qui nous seront
indispensables tout au long du voyage.
Les motos se comportent
bien, même si notre groupe ne comprend pas de véritable expert en mécanique
(Nicolas : "Mais je vous jure qu'il n'y a que trois vitesses sur ma minsk
!!!").
Les véhicules commencent
à se raréfier, mais ils ne disparaissent jamais complètement. Nous atteignons
en fin de matinée une bourgade connue pour son imposant barrage, et nous ne
résistons pas au plaisir d'en explorer les artères, malgré les pentes qui font
parfois hésiter nos engins (enfin, surtout celui de Cécile).
Nous déjeunons dans
un hameau de phôs divins, particulièrement appréciés par nos routards déboussolés
par le vent de la route et la fraîcheur de la mâtinée. Le coca se trouve partout
ici, accompagne les mets et s'avère utile pour combattre les débuts de tourista.
Du restaurant, nous regardons un couple de chiens absorbés par leurs ébats.
Autour du village, on aperçoit déjà les hauts rochers pointus qui poussent comme
d'étranges taupinières dans les plaines environnantes.
Il est bientôt temps
de repartir, le ventre plein, pour notre étape du jour : Hoa Bin, un petit village
enfoncé dans une vallée entourée de montagnes. L'ascension du col n'est pas
une mince affaire. Dans un épais brouillard où perce une fine bruine, il faut
être vigilant car à chaque virage, un camion roulant en crabe et venant de face
risque de vous expédier dans le décor, si envoûtant soit-il.
La descente dans
la vallée est en revanche magnifique. Sous un ciel nuageux, mais sec, nous admirons,
depuis la montagne, la verdeur de cet oasis caché par les sommets, et ce charmant
et accueillant village thaï tout affairé à la culture ...du riz bien sûr. Guillaume
connaissant une adresse, nous sommes accueillis très chaleureusement par une
famille thaï, dans leur habitat traditionnel (une maison en bois montée sur
pilotis). Marchant pied nus sur les lattes (sensation délicieuse) nous pouvons
apercevoir à travers les interstices du plancher le métier à tisser, actionné
jusqu'à très tard le soir par la mère où la fille. Il sert à fabriquer des écharpes
et des tissus souvent très jolis, mais pas non plus très originaux (on trouve
les mêmes dans n'importe quelle boutique de tissus de Hanoi).
Comme nous avons
un peu de temps, nous décidons de nous promener dans les rizières, où Nicolas
nous décrit consciencieusement les étapes de la culture du riz et les techniques
d'irrigation. J'avoue avoir un peu oublié depuis. Cette vallée est riche et
très touristique et beaucoup d'excursions organisées viennent y échouer : les
touristes sont parqués dans des bungalows et viennent acheter l'artisanat local.
Nous essayons d'éviter d'approcher de trop près ces petits troupeaux disciplinés.
Le soir venu, la
maîtresse de maison prépare un repas succulent au-dessus d'un feu situé dans
une pièce adjacente. Les agapes se concluent par la dégustation d'un alcool
fait de riz fermenté : Une jarre est placée sur la nappe, et chacun peut y boire
à l'aide de pailles biscornues placées tout autour du bord. Bientôt toute la
famille, y compris les enfants, vient nous rejoindre pour boire et échanger
quelques mots. La conversation avec nos hôtes bat son plein, et j'envie nos
amis vietnamophones qui comprennent tout. Puis nos matelas sont étalés à même
le sol, tous ornés de moustiquaires, outils indispensables dans la région.
Laurent
: La nuit et la digestion s'avère plus difficile que prévu pour l'auteur de
ces lignes : le lendemain matin je dois tester d'urgence les sanitaires du coin,
à côté des auges à cochon.
Marc:
Laurent passe la moitié de la nuit assis en se tenant le ventre, je me demande
dans un demi éveil (ou sommeil) quelle est cette nouvelle technique de relaxation
!
Dimanche
: saucisson bourguignon et alcool de serpent font bon ménage
Nous
voilà repartis dans un paysage montagneux, aux routes sinueuses. Il faut par
dessus tout craindre les descentes de cols, dont les pentes vertigineuses mettent
les freins de la minsk à rude épreuve. Même si je ne suis pas vraiment croyant,
je me surprends à prier pour qu'ils ne lâchent pas...
Les gens du village
nous ont assuré que l'on aurait de la pluie pendant un bon bout du trajet aujourd'hui...
Cela ne rate pas. Jusqu'à midi, nous arborons tous nos tenues transparentes
de spationautes motorisés : pèlerines - un peu désagrégées - sur le dos, sacs
en plastique enveloppant les sacs à dos, les chaussures, et mêmes pour certains
les mains. Brouillard et pluie sont des compagnons assez rafraîchissants mais
assez pots de colle pour ce début de voyage.
Laurent
: le dilemme du motard binoclard avec casque à visière quand il pleut : Si tu
baisses la visière la pluie ruisselle et il faut régulièrement lâcher une main
pour essuyer. Si tu remontes la visière tes lunettes prennent l'eau. Si tu enlèves
tes lunettes tu ne vois plus rien. Mala suerte !
Bref, nous arrivons
frigorifiés dans un village de montagne pour le repas de midi et trouvons sans
peine une cantine, pendant que l'activité de la rue principale bat son plein.
Dans la brume, tout prend des allures mystérieuses ; nous avons gravi pas mal
de cols, et on ne sait plus vraiment si l'on est en altitude où dans une vallée.
Mais le brouillard interdit toute vision des paysages alentours, le froid et
l'humidité donnent l'impression que l'on est coincé au bout du monde, entouré
d'ombres et de reliefs imprécis. sensation tout à la fois grisante et inquiétante.
Au
moment de repartir sur nos fières mais boueuses montures, et alors même que
nous nous sommes péniblement recouverts des traditionnels plastiques, un villageois
nous annonce en riant que la route est sèche et qu'il va faire beau ! Nous voilà
tout de suite soulagés, car il n'a aucune raison de ne pas croire en ces prédictions
souvent à 100% fiables (comme celles des marins bretons...).
Marc:
Je ne comprends pas tout de suite les prédictions météos de l’autochtone, aussi
pour me faire apprécier sa science il m’arrache mes sacs plastiques protecteurs;
j’apprécie moyennement la technique, mais comme prévu le reste de la route est
parfaitement sec.
Trop
content de retrouver un peu de chaleur et de sécheresse, on met les gaz avec
Gui. On fait la course pour tester nos engins. Après un arrêt, qui nous paraît
une éternité on se rend compte que les autres ne suivent plus.
Laurent
: Gast, panne de bougie : je reste planté une demi-heure sur le bas-côté de
la route avec Miss Bourgogne 98, avant que les trois fangios ne se rendent compte
qu'on ne les suit plus.
Bientôt la route
s'élargit et nous roulons au milieu des centaines de bicyclettes de charmantes
collégiennes rentrant de l'école (Marc : toujours
le même fantasme pour Laurent). Quelques
gamins traversant la route nous créent quelques frayeurs, mais nous arrivons
sains et saufs.
Son La est la première
grosse ville que nous traversons depuis Hanoi. Nous trouvons rapidement un hôtel
dont les chambres donnent sur une large terrasse (comme dans Une journée
particulière mais sans les draps) d'où nous pouvons apprécier la vue sur
l'ancien pénitencier colonial. Pour nous remettre d'aplomb après cette difficile
étape, nous optons pour un apéritif franco-vietnamien sur la terrasse : du saucisson
venu tout droit de Bourgogne accompagné d'un petit alcool de serpent de derrière
les bambous. Un mélange original qui nous remet d'aplomb.
Dans la cour de
l'hôtel, les employés zélés s'appliquent à nettoyer nos valeureuses minsks au
jet d'eau, ce qui est plutôt déconseillé si l'on veut les redémarrer sans problème.
Marc:
Effectivement, le démarrage du matin sera laborieux, quelques dizaines de coup
de kicks plus tard, les motos ronronnent.
Lundi
: piège sur la piste de Dien Bien Phu
Néanmoins
le lendemain nous repartons sans trop de dégâts, dans un climat chaud, destination
Dien Bien Phu. Pas de nostalgie coloniale dans le choix de cette étape : Nico
et Cécile y ont un ami.
La canicule nous
accompagne dans ces paysages somptueux, très montagneux. Un orage violent nous
oblige à stopper quelques instants dans un hameau où les enfants se poilent
chaque fois que l'un de nous remue un cil.
Marc:
Laurent fait un boeuf avec son poncho déchiré qu’il porte à la manière d’un
fantôme écossais, cela fait beaucoup rire les mômes.
Alors que nous repartons,
dans le soleil réapparu aussi brusquement qu'il s'était éclipsé, nous réalisons
petit à petit que le bitume est devenu une véritable patinoire pour les motos.
Un léger coup de frein suffit pour que nos vaillantes montures se mettent à
chasser dangereusement.
Laurent
: J'avoue que je n'en mène pas large sur ma moto devenue quasi-incontrôlable.
Soudain je réalise que Nico ne suit pas, alors qu'il a pris l'habitude de caracoler
en tête du convoi. C'est donc inquiétant. Cécile s'est aussi rendue compte de
l'absence de son chéri, et nous décidons de rebrousser chemin. Je crains le
pire, vu les conditions de conduite. Après quelques centaines de mètres, nous
retrouvons notre ami sur le bas côté, l'air dépité, aux côtés de son véhicule
endommagé et un peu tordu par la chute. Heureusement, Sliding Nick n'allait
pas vite quand l'accident s'est produit et il n'a a déplorer qu'un pouce un
peu tordu et une belle frousse.
Dien Bien Phu est
tout petit, et s'articule autour une grande rue principale pleine de boue.
Nous dirigeons nos
motos vers le premier hôtel qui surgit sur la droite en arrivant. Il semble
avoir poussé comme un champignon après une averse, car Guillaume ne se rappelle
pas l'avoir vu lors de son précédent passage il y a un an. Un léger malentendu
avec la gérante manque de faire capoter le séjour qui s'annonçait agréable :
piscine, chambrettes coquettes pour un prix raisonnable. Mais tout finit bien
et nous étrennons la piscine toute neuve, avant même la douche, malgré la peur
du virus, du moustique antipathique et paludique, ou encore de la glissade fatale
sur le carrelage-savonnette. L'hôtel est bientôt envahi de touristes français
en bus. Il semble que Dien Bien soit devenu un passage obligé pour les séjours
organisés. Bref, nous les ignorons, même si nous ne sommes pas peu fiers de
jouer les routard à la mine tanée et poussiéreuse auprès
de ces quinquagénaires suant trop la France. On a tous nos faiblesses...
Seule ombre au tableau
: au fond de la cour, de miteuses cages enferment des spécimens d'animaux rares
: un ours, un tigre, des singes, qui attendent de passer à la casserole du restaurant
de l'hôtel. Les pauvres ont à peine la place pour se tourner. Il nous faut retenir
Cécile, notre Brigitte Bardot locale, de peur qu'elle n'ouvre les cages.
Le soir venu, nous
sommes rejoints par Laurent, un des seuls français installés à Dien Bien, ami
de Cécile et Nicolas. Il nous emmène dans un restaurant excellent, comme d'habitude
(la cuisine vietnamienne est paradisiaque, vraiment !). Au menu, une fondue
de chèvre accompagnée de la bière locale, toujours bienvenue.
Laurent
: Aujourd'hui je cumule mes problèmes de minsk. Ma titine a du mal à démarrer,
ou plutôt elle cale très vite quand je m'arrête. Sans doute des problèmes de
bougie. Le soir, alors que nous roulons de nuit vers le restaurant, je perds
le contrôle de l'engin et atterris dans un champ de boue fraîche. Bien sûr tout
le monde se marre. Bande de lâches... Malgré tout, je passe sans encombre l'extraordinaire
passage de boue qui barre la rue principale. Hum.
Laurent finit une
thèse en géographie sur les tribus Hmongs, et a prévu d'aller faire une petite
tournée le lendemain dans un village situé sur la route de Lai Chau. Il nous
invite à se joindre à lui, et nous acceptons tout de suite, les larmes aux yeux
bien sûr, car nous réalisons que nous n'aurons pas le temps de nous recueillir
sur les lieux de la bataille de Dien Bien...
Mardi : étrange festin chez les Hmongs
Le
lendemain, départ vers 6 heures, dans une pétarade minskienne destinée à réveiller
les touristes français sus-cités. Nous prenons la grande route traversant la
large plaine, d'où nous apercevons les vastes seins verdoyants de Béatrice,
Gabrielle et Anne-Marie, paisiblement endormies dans la brume matinale. Bientôt,
la route laisse place à la piste, où nos minsks vont pouvoir prouver leur vraie
valeur.
Laurent
: Marc, Cécile et moi sommes assez vite distancés par les autres forcenés de
la route, mais peu à peu nous prenons de l'assurance : la piste est vivante,
il faut jouer avec elle, éviter les cailloux, choisir la meilleure trajectoire,
la bonne vitesse : bref on ne s'ennuie pas un instant. Marc se paye même le
luxe de tester un petit fossé, et nous sommes pas trop de trois pour remettre
son monstre noir sur le droit chemin.
Marc
: Toujours soucieux de faire la photo parfaite, je conduis en regardant à 360.
Distrait, je ne surveille pas ma direction. A petite allure je tombe dans le
fossé. Heureusement les compères me suivaient de près.
Notre première étape
nous mène à un village le long de la piste. Laurent nous explique qu'il lui
faut l'autorisation du chef de ce village pour aller voir les Hmongs (je rappelle
que cette zone est située non loin de la frontière avec le Laos, où la contrebande
sévit : d'où les contrôles). Nous obtempérons et allons rendre visite au chef
de la place, qui semble de bonne composition... A condition que nous sacrifiions
au rituel de l'alcool de riz. Un, deux trois quatre verres : il commence à faire
très chaud.
Laurent
: J'opte pour la technique de mon voisin, l’interprète de Laurent, qui arrive
à trembler suffisamment pour que le contenu de son verre tombe sur le plancher.
Pas bête. Ca marche tellement bien que je me retrouve seul à peu près clair
quand il faut reprendre la route. On ne peut pas en dire autant de mes congénères.
Malgré tout, c'est drôle, la minsk me semble beaucoup plus légère...
Marc
: Les locaux sont très spontanés, et nous demandent notre âge très vite (même
aux filles). Le chef est surpris il a 10 ans de plus que moi et pourtant d’après
lui c’est moi qui paraît le plus vieux. Sacré humour vietnamien.
Après avoir laissé
nos motos en bordure de route, il nous reste deux heures de marche dans les
montagnes. Idéal pour suer l'alcool de riz et pour mouiller la chemise. Sur
le petit chemin qui traverse la jungle, nous croisons un jeune Hmong, un peu
intrigué par le spectacle que nous lui offrons. Il tient dans sa main gauche
une sorte de planche à roulettes qui lui permet de descendre plus vite jusqu'à
la piste. Il ne semble pas y avoir de frein sur son engin...!
Nous finissons par atteindre le village. Installé sur le flanc de deux collines, il est formé d'une série de bâtisses temporaires et rudimentaires en bois (les Hmongs sont nomades) dont les toits ne laissent que très peu filtrer la lumière. Sur le sol dénudé déambulent en paix quelques cochons poilus, et des poules. Le village est presque vide, car ses habitants sont allés aux champs. Heureusement, le "second" du village nous accueille très chaleureusement et nous fait entrer dans sa cabane : il fait très sombre à l'intérieur, et seul un feu de bois éclaire trois villageois qui devisent. Les enfants arrivent peu à peu, et nous observent dans un mélange de curiosité et de peur. On ne peut pas les approcher de très près et beaucoup s'enfuient en riant chaque fois que l'on brandit un appareil photo. Il faut dire que ces gens ne voient jamais d'européens, à l'exception de Laurent, qui leur rend visite de temps en temps.
Après
une discussion cordiale (les Hmongs ont leur propre dialecte et nous avons besoin
de l'interprète) et quelques verres d'alcool de riz, notre hôte nous
fait savoir qu'il nous garderait bien à déjeuner. Nous déclinons poliment son
invitation, car il nous reste de la route à parcourir. Il insiste une fois,
deux fois, jusqu'à ce qu'il devienne malséant de refuser. Au menu donc : un
petit cochon grillé (oui, oui, un de ceux qui se baladaient, insouciants, autour
de nous tout à l'heure).
Laurent
: j'admire la façon dont ils attachent le porcelet avec de simples lanières
de bambou
(autre
fantasme de Laurent : la mise à mort).
Puis tchac ! un coup de machette et le petit animal devient le plat principal
de notre repas de midi.
Le sang est récupéré,
mélangé avec la chair cuite à la poêle, ce qui donne un mélange peu ragoûtant
(pour nous). Et comme ils ne mangent de la viande qu'une fois tous les six mois,
ce serait plutôt salaud de refuser une telle marque de générosité et d'hospitalité.
Il faut se forcer, et nous sommes morts de rire et de trouille à l'idée de manger
ca. Il faut avaler les rognons, les bouts de cartilage (trop) nombreux et des
morceaux inconnus à la physionomie assez peu alléchante. Nous ne sommes que
peu (je ne citerai pas les noms) à oser goûter au sang caillé.
Laurent
: le stratagème qui consistait à renverser discrètement le contenu de mon verre
d'alcool de riz par terre, si efficace tout à l'heure, est très vite éventé
ici. Nos hôtes, très observateurs, ont remarqué ma tactique et me resservent
deux fois plus en me faisant remarquer que je n'ai rien bu. Je suis fait. Hips
!
Après le repas,
Nicolas remarque contre la paroi de la cabane, un tube qui ressemble à une carabine.
Tel un enfant devant un jouet inconnu, il demande si cet objet fonctionne. Notre
hôte répond non seulement par l'affirmative, mais nous invite aussi à assister
à un essai de tir. Tenu à bout de bras pour éviter les effets du recul, l'engin
est rempli de plomb et de poudre. Le tir (réussi) est ponctué d'un bruit d'enfer
qui ébouriffe la jungle alentour. Puis c'est Nicolas qui est invité à viser
un arbre. Tout le monde craint que le mousquet ne lui explose à la figure, mais
il se sort très bien de l'épreuve. La balle, en revanche, atterrira on ne sait
où…
Laurent
: moi qui ai l'impression d'être bouffé par les moustiques depuis le début de
notre voyage, je déglutis difficilement à l'annonce de cette info tranquillement
révélée par notre médecin de bord et j'observe avec inquiétude l'air qui m'entoure
: comment reconnaître un moustique du palu ? est-ce que c'est marqué dessus
? Ou bien éclate -t-il d'un grand rire après t'avoir inoculé la maladie ? Je
n'en mène pas large.
Mais il se fait
tard, et nous sommes loin d'être arrivés à notre village d'étape. Après une
photo de famille devant la cabane (et un discours d'adieu bredouillé par mes
soins), nous prenons congé, toujours sur un nuage après ces singulières rencontres.
Nous enfourchons à nouveau nos motos et attaquons la piste. L'après midi est
déjà bien avancée, et il nous faut accélérer pour atteindre Lai Chau. Hélas,
les voies du seigneur étant impénétrables, le sort décide de nous réserver une
petite et désagréable surprise. Nico et Guillaume sont partis devant.
Laurent
: je me trouve derrière Cécile quand sa moto décélère et vient caler sur le
bas côté. Impossible de redémarrer. Il me faut speeder pour aller prévenir les
deux zozos devant, et je ressens pour la première fois la griserie de la vitesse
à moto. A fond les gamelles, je finis par rattraper nos amis, et nous rebroussons
chemin.
L'affaire semble
sérieuse. Toutes nos recettes d'apprentis mécaniciens s'avèrent inefficaces
pour faire redémarrer l'engin. Il nous faut trouver un mécanicien. Nicolas se
dirige vers le village le plus proche, c'est à dire assez loin. C'est alors
que nous faisons la première erreur stratégique du voyage : Nous attendons,
en essayant ponctuellement de faire démarrer la Minsk récalcitrante. Peine perdue.
Nous sommes vraiment dans un trou perdu. Quelques gamins et quelques paysans
nous regardent tranquillement, sans bouger le moindre petit doigt pour nous
venir en aide.
Laurent
: en attendant le retour de Nico, je me lance dans un solo de tin whistle qui,
s'il ne fait pas fuir mon auditoire improvisé (les deux où trois gamins), les
intrigue plutôt qu'il ne les charme.
Mauvaise nouvelle
: le village est loin, le mécanicien est antipathique et ne veut pas se déplacer.
La nuit tombe, les solutions de sauvetage s'amenuisent, les moustiques volètent
autour de nous (Phrase de Marco, paniqué : « putain , les moustiques arrivent
! »)
Marc
: Deux policiers s‘arrêtent et examinent la moto. D’après eux, il s’agit de
la Teca, centre nerveux de la machine, en fait bloc électrique. Nous les croyons
dur comme fer. Nico repart acheter la fameuse pièce chez le garagiste récalcitrant.
Nouvelle attente, il revient avec l’objet. Nous remontons la machine, mais elle
refuse toujours de démarrer.
Nous commençons
à paniquer, et il fait noir quand nous nous décidons enfin à bouger, et à pousser
la moto jusqu'aux maisons les plus proches. C'est le projet Dien Bien Witch
qui commence.
Laurent
: Malgré la chaleur étouffante, je me suis décidé à renfiler ma tenue anti-moustique
la plus imperméable qui soit : le K-way et la capuche. Le problème est que bien
vite cette tenue fait l'effet d'une cocotte-minute, surtout quand c'est mon
tour de pousser la moto. Quand j'atteins la première maison, je baigne dans
le liquide. Bien entendu, mes camarades sont morts de rire en me regardant,
tout comme les habitants charmants qui nous proposent l'hospitalité. Nico nous
fait un de ses cacas nerveux dont il a le secret quand il apprend que j'ai joué
de la flûte alors que lui oeuvrait pour le bien commun en cherchant un mécanicien.
En fait, il
suffisait d'un câble pour que l'un de nous tire la moto (avec son propre
engin) et nos problèmes auraient été rapidement solutionnés.
A tous ceux qui envisagent un périple de ce genre, donc, ne jamais oublier un
câble, où plutôt une solide corde. Elle vous évitera tous les ennuis du monde.
Pour finir, nous devons laisser la moto défectueuse au mécanicien véreux pour
la nuit, et chercher un hôtel dans le village qui était bien plus important
qu'il n'y paraissait. Un peu stressés par tout cela nous passons une bonne nuit,
Marc:
L’hôtel est des plus miteux, repaire de routiers du coin. La propreté est douteuse,
mais après ces évènements on s’endort comme des masses.
Mercredi : sur la somptueuse route de Phong Tho
Le
lendemain matin, le "shérif" du village vient vérifier nos papiers,
et essaie de nous impressionner en disant qu'il manque une petite feuille à
nos passeports.
Laurent
: c'est vrai qu'il manque une p...de feuille jaune à nos passeports. Je nous
vois déjà croupir dans une geôle vietnamienne pour le restant de nos jours,
et me dis que nos emmerdes sont loin d'être finies, quand finalement tout s'éclaire,
et le shérif nous laisse repartir, après négociation avec Nico.
La moto de Cécile
réparée, nous voici on the road again
; il est évident que nous souhaitons tous mettre le maximum de kilomètres entre
nous et cette zone maudite où les emmerdes semblent nous coller aux basques.
Finalement nous nous en tirons à bon compte, et jurons d'acheter de la corde
(en guise de câble) à la prochaine épicerie. Peu à peu, les kilomètres défilent
et notre moral remonte. Le temps, lui s'est gâté pendant la nuit : il pleut
désormais copieusement, et nous allons devoir affronter la montagne sous les
pluies et dans la boue qui a envahi la piste. Il nous faut monter un col, puis
redescendre dans la vallée.
Là c'est l'aventure.
La conduite est vraiment difficile mais très excitante, et consiste à éviter
les flaques, les ornières, faire très attention dans les virages, ne pas trop
freiner sous peine de finir le nez dans la boue ou pire, dans le ravin ou sous
les roues d'un camion. En fait, il faut utiliser les dérapages pour diriger
sa moto. Par endroits, il manque une partie de la route, emportée par l'eau
et les torrents. Le paysage est grandiose, avec des vallées encaissées, très
verdoyantes. Nous devons accélérer le rythme car nous sommes encore loin de
Phong Tho. Enfin nous atteignons la vallée, mais la route reste incroyablement
boueuse.
Laurent
: par miracle aucun de nous ne chute, bien que je soupçonne par moments le Perrin
d'avoir parié sur ma déconfiture. Encore raté !
Marc
: Après un passage particulièrement difficile genre Camel trophy, nous attendons
Laurent en espérant un petit spectacle. Le bougre négocie la fange dans un style
magistral et nous jette un regard noir (genre tempête bretonne).
Au village suivant,
où nous devions initialement faire étape, nous avalons une bonne plâtrée de
nouilles, après avoir traversé une rivière sur un pont bien incertain. C'est
incroyable comme on apprécie la nourriture après cette partie éprouvante du
voyage. Le ventre plein et le moral au beau fixe, nous abordons une partie de
route plus plaisante, avec un temps dégagé. La piste est encore boueuse, mais
la conduite sur cette surface est devenue un jeu fort plaisant. Nous jouons
à chat avec un car de touristes européens qui semble lui aussi se diriger vers
Phong Tho. Il reste un dernier col à monter avant d'atteindre l'étape. Les pentes
s'accentuent et nos minsks peinent un peu dans la montée.
Marc :
Gui et moi doublons le car dans un fracas de pierres virevoltantes et de poussière,
la piste est à nous.
L'arrivée au village
est extraordinaire : dans le soleil couchant, d'immenses dômes se dressent tout
autour de nous, puis la vallée surgit, entourée de collines rougies par le crépuscule.
Phong Tho ressemble à une ville minière du Far West, un village champignon qui
aurait poussé d'un coup, avec pour artère principale une grande rue (comme à
Dien Bien), où se concentre toute la vie. Y trouver un hôtel s'avère un jeu
d'enfant, et nous devons avoir fière allure, avec nos motos, nos pèlerines et
nos faces brunies par la boue des chemins.
Laurent
: A l'entrée de l'hôtel, Marc et moi sympathisons avec des hollandaises qui
font le tour du monde ...en vtt. Impressions, Marc ?
Marc
: Le mari arrive dare-dare récupérer sa protégée. Quant à la deuxième, elle
doit bien approcher le1m90
Jeudi : sous le soleil de Sa Pa
Entre
Phong Tho et Sapa, les distances sont moins grandes, mais le paysage change
complètement. Après avoir quitté la boue, la piste devient par endroits très
droites, ce qui permet de tester les suspensions de la minsk à vitesse élevée.
Nous traversons des villages où des myriades d'enfants sortant de l'école nous
saluent par des concerts de sourires, de "Hello !!" et de "Xin
Ciao !!". C'est très impressionnant (les stars de Cannes peuvent se rhabiller).
Marc
: Gui perd son sac à pleine vitesse, heureusement que l’on roule derrière lui,
on peut l’avertir car les gamins veillent. Il serre plus fort les caoutchoucs
et repart de plus belle.
Puis voilà la montagne. Nous avons la chance d'apercevoir le sommet du Vietnam (Fan tsi Pan), seulement entouré de quelques nuages.
Puis
la route s'améliore (bitume-cailloux-bitume-cailloux) et se met à serpenter
sur le flanc de ce qui ressemble de plus en plus à un paysage alpestre : de
moyennes montagnes vertes et assez drues, avec, si l'on observe bien le fond
de la vallée...des rizières en terrasse.
Sapa ressemble à
un village suisse au Vietnam. Avec cette étape, nous avons désormais rejoint
la civilisation. Mais il n'y a rien à regretter, car même si l'endroit est un
repère à touristes, il fait bon vivre dans cette douce atmosphère d'avril, assis
sur la meilleure terrasse de la meilleure chambre du meilleur petit hôtel du
coin.
Nous rejoignons
Farida, l'amie de Guillaume, qui va faire le reste du chemin avec nous et visitons
le marché couvert en tentant d'échapper aux multiples Hmongs fleuries qui insistent
pour que l'on achète leurs bibelots.
Le soir, baignade
dans la piscine privée de l'hôtel dessinée par un architecte, ami des Hanoiens
de la bande. après une fondue vietnamienne du feu de Dieu. Instant mémorable
: une course poursuite avec départ arrêté dans les vestiaires au carrelage mouillé
jusqu'au bout du bassin. Bien entendu, les meilleurs tricheurs gagnent à ce
petit jeu. Par miracle, Guillaume n'aura pas de fracture du crâne à soigner
ce soir là
Il nous est très
difficile d'obtenir des couchettes pour revenir dans le train Lao Caï-Hanoï.
Nous devrions attendre d'être à Lao Caï pour être sûrs de notre plan.
Le soir, nous dégustons
une fondue extraordinaire et la bière coule à flots. Quelle nourriture mes amis
!
Marc
: La soirée se termine par un whist d’enfer, et comme d’habitude je perds.
Vendredi
: la sixième passagère
Avant
de repartir pour Lao Caï et (déjà) Hanoi, nous avions prévu de faire un tour
par Bac Ha, célèbre pour son marché animé et foisonnant. Nous voilà repartis
en minsk. A l'arrière de la moto de Guillaume, Farida semble supporter sans
sourciller les chaos de la route (être à l'arrière d'une minsk n'est pourtant
pas une partie de plaisir).
Après un bout de
chemin assez long, nous arrivons à Bac Ha dans l'après midi. Il est encore temps
d'aller se balader dans les campagnes environnantes. Mais avant, un mini-drame
survient, car Nicolas insiste lourdement pour dormir dans "sa chambre fétiche
avec un balcon". Il accepte malgré tout le tirage au sort, ne doutant pas
un instant que la chance lui sourira. Pourtant c'est Laurent et Marc qui gagnent,
ce qui provoque la mauvaise humeur chronique du Perrin pour le reste de la journée.
Les environs de
Bac Ha sont agréables, avec des collines et des vergers un peu partout.
Laurent
: Je veux un Che tap cam ! J'ai été sevré depuis notre départ, et cela est intolérable.
Une dame dans un bar nous promet qu'elle en préparera pour le soir mais finalement
ses boissons ne ressemblent à pas grand chose.
La soirée se passe
sur la balcon. On est pas bien là; à la fraîche ?...
Marc
: Je me décide à me raser pour la première fois du voyage, mais il est
impossible de trouver de la crème à raser. Les vietnamiens n’ont pas notre pilosité.
Tant pis, un mélange de crème hydratante et de shampoing fait l’.affaire. Qu’il
est bon de se sentir propre et de savourer un grand verre de vin local sur le
balcon de l’.hôtel.
Samedi
: un marché plein de surprises
Réveillés
par le fracas assourdissant de la radio du parti qui casse littéralement les
oreilles des habitants dès cinq ou 6 heures du matin, nous voilà partis pour
l'extraordinaire marché de Bac Ha, où l'on trouve de tout des vêtements, des
oiseaux chanteurs, des cochons, des chiens, des bibelots, etc... Les Hmongs
fleuris fleurissent, les sortes de halles qui la veille nous semblaient tristes
et abandonnées grouillent de monde. La rue aussi s'anime avec le marché :
les boutiques sortent tous leurs produits, on peut même assister une séance
de soins dentaires en plein air, le "dentiste" faisant marcher sa
roulette avec une simple pédale.
Nous
sommes immanquablement séparés par la foule, et on se retrouve de temps
en temps entre deux échoppes. C'est le moment de faire quelques cadeaux. Sur
les bords de la rivière à côté, de jolies jeunes Hmongs dans leurs costumes
multicolores se font belles pour attirer l'oeil des gars qui les observent d'un
oeil faussement distrait du haut du pont. Le marché, c'est aussi un haut lieu
de drague...
Laurent
: Je crois rêver : un vieux paysan édenté vend des bombardes de bambou faites
à la main. Il en sort un bruit indéfinissable, grâce à une sorte d'anche en
paille de riz. Je ne peux bien sûr résister à l'envie d'en ramener en Bretagne.
Mais le bougre, à qui j'ai demandé de me faire une démonstration, ne veut plus
s'arrêter de jouer et bientôt un attroupement monstre nous entoure. Je finis
pas arracher deux instruments au bonhomme ravi qui continue de jouer sans plus
vraiment s'intéresser à moi.
Les yeux pleins
de belles images et le porte-monnaie vide (Laurent : j'ai
une veste hmong, j'ai une veste hmong, j'ai une veste hmong !!!), nous
devons reprendre la route pour rejoindre Lao Caï.
Laurent
: Après une panne sèche de la minsk de Nico, je pars seul chercher de l'essence.
Arrêté dans un village, je me fais tellement bien comprendre que l'on me propose
un bidon rempli... d'eau. Après moult gesticulations devant mon interlocuteur
hilare, j'obtiens ce que je veux et quand je rejoins les autres, ils ont déjà
refait le plein...
Dimanche
: retour vers la civilisation
Lao
Caï est une grande ville qui sert aussi de frontière avec la Chine. Nous nous
arrêtons face au pont qui sépare les deux pays. C'est impressionnant, on se
croirait dans un film d'aventures exotiques des années trente. Le temps d'un
petit phô et d'une Bia oi, et nous voici dans le train bondé qui nous ramène
à Hanoi. Nous y rencontrons des français, et dormons dans des couchettes sous
lesquelles une femme a entreposé des marchandises peu fraîches qui empesteront
toute la nuit. Le train, qui roule à petite allure, fait le trajet en une nuit.
A chaque gare nous sommes assaillis par des vendeurs de boîtes de coca et de
soda, parfois des bouses de vache viennent s'écraser contre les vitres. A part
cela, tout se passe sans histoire, jusqu'au petit matin. Nous arrivons vers
4-5 heures, l'heure à laquelle Hanoi se lève et commence vaillamment la journée.
Nous poirotons sur le quai pour attendre que les motos soient descendues (le
wagon où elles étaient entreposées n'est pas vraiment fait pour les marchandise,
si bien qu'il faut les descendre nos montures par les portes normales, ce qui
relève de l'exploit...
Nous roulons dans
les rues noires et presque calmes de la grande ville, avant de retrouver un
repos mérité. Le voyage s'achève. Il faut reprendre une vie normale.
Vive la Minsk et
le Nord Vietnam !